Le logiciel tend à devenir une interface universelle. Présent dans les téléphones, les véhicules, les équipements de toutes sorte, cet objet permet de transformer les perceptions et les pratiques. Dans le monde médical, l’apparition des logiciels est assez récente mais leur développement est rapide. Ils tendent à s'intégrer à un ensemble de plus en plus vaste de dispositifs, parfois à les supplanter, en ouvrant de nouveaux horizons, accessibles uniquement par ces technologies.
Quels sont les moteurs de cette évolution, comment est elle contrôlée, quelles sont ses impacts ? Cette note vise, à travers une série d’observations, à analyser les enjeux, les contraintes et les bénéfices associés à l'utilisation de logiciels d'assistance à la réalisation d'actes médicaux.
Qu’ils soient de nature diagnostic ou thérapeutique, les actes médicaux sont souvent réalisés en ayant recours à un logiciel. Dans son rôle d’outil diagnostic, le logiciel va combiner des informations provenant du patient avec une connaissance externe au patient pour donner une nouvelle information qui sera exploitée par le praticien pour élaborer son diagnostic. Les exemples sont nombreux, allant des résultats de biologie à l’analyse d’image, la plupart des diagnostics s’appuient sur une information issue d’un traitement logiciel.
Dans son rôle d’outil thérapeutique, le logiciel induit une action sur le patient. Par exemple, un robot opératoire intègre des logiciels qui analysent le geste du chirurgien pour piloter le bistouri électrique. Un logiciel d’aide à la prescription va analyser les données du patient pour valider une prescription proposée par le praticien.
Dans le contexte ou l’acte médical résulte d’une collaboration de plusieurs intervenants, le logiciel permet également de faciliter la communication nécessaire entre les acteurs.
Enjeux
Si le contexte économique ou le niveau d’exigence thérapeutique sont des moteurs de l’utilisation des logiciels dans la pratique médicale, l’un des facteurs de cette évolution est simplement l’apparition du logiciel et sa rencontre avec le monde de la médecine. Les logiciels et les systèmes d’informations qui les implémentent sont d’apparition relativement récente. Ils offrent des possibilités nouvelles, uniques dans le traitement de l’information, or la pratique de la médecine repose sur l’information. La rencontre entre ces deux univers parait prometteuse même si elle comporte les risques de l’innovation.
Pour les patients, les enjeux concernent la qualité et la sécurité de la prise en charge, voir l’accès aux soins. Pour les professionnels de santé, les enjeux concernent le rôle des praticiens, la définition des organisations de santé et, à terme la capacité à contrôler les dépenses de santé.
Contraintes et impacts
Le logiciel apporte de nouvelles contraintes dans la pratique médicale tant sur la sécurité de la prise en charge que sur l’organisation et les métiers de la santé.
Cadrer l’utilisation pour garantir la sécurité de la prise en charge
L’une des caractéristiques du logiciel est sa nouveauté. Les processus d’industrialisation des logiciels sont loin d’être aussi bien maîtrisés que dans d’autres secteurs comme l’industrie lourde ou le biomédical. Mais surtout, le logiciel est par nature, souple, adaptable, évolutif. Ces qualités sont autant de difficultés pour valider, documenter, maintenir. Il peut donc connaitre des défaillances de fonctionnement qui sont d’autant moins bien vécues que le service rendu en fonctionnement est réel.
La panne du dispositif liée au logiciel n’est pas exceptionnelle et doit être prévenue à différents niveaux. Les équipements biomédicaux font l’objet de certification qui garantit leur fonctionnement. Des initiatives plus récentes et plus spécifiques au logiciel sont actuellement en cours comme la certification des logiciels d’aide à la prescription (LAP) par la HAS. Au niveau des établissement de santé, la panne doit faire l’objet de procédures de recours, connues, applicables et efficaces. Ces procédures s’inscrivent dans une politique de sécurité des systèmes d’informations définie au niveau d’un établissement.
Prévenir les changements induits par le logiciel médical
Dans sa nouveauté, l’utilisation de dispositifs médicaux intégrant du logiciel suppose des changements. Leur impact sur la pratique médicale est sensible et peut être conséquent. Par exemple un système d’aide à la prescription a des impacts multiples sur les acteurs et l’organisation. Pour le médecin la prescription sera facilitée par l’utilisation de protocoles mais entravée par une demande de précision plus grande ou un niveau de validation inédit. Pour l’infirmière qui administre la prescription, elle suppose un apprentissage du logiciel, une évolution de l’organisation de son travail. Pour la pharmacie, la validation des médicaments induit une nouvelle organisation.
L’utilisation de logiciels d’aide à la réalisation des actes touche également au rôle des personnels soignants. Souvent acteurs lors de la mise en place d’outils logiciels, certains professionnels de santé deviennent référent ou administrateur métier, nouveau rôle pour les professionnels de santé.
Les utilisateurs de ces technologies voient leur métier évoluer. Par exemple, un anesthésiste qui passe une partie de son temps à ajuster une prescription de morphinique en fonction de la profondeur d’anesthésie, peut, avec un dispositif logiciel qui automatise cette tâche, assurer un rôle plus complet auprès de son patient lors des moments cruciaux comme l’intubation.
La généralisation de tels systèmes pourrait avoir des impacts sur l’organisation. Sans diminuer la sécurité, il parait possible de réajuster les compétences et les effectifs à la présence de ces nouveaux outils. L’anesthésiste équipé d’un dispositif d’assistance à l’anesthésie pourrait augmenter sa charge de travail quitte à renforcer la présence d’IADE (Infirmier Anesthésiste Diplômé d’Etat) au bloc opératoire. Le parallèle avec les systèmes de pilotage automatique dans les avions a son sens. Il a permis de faire passer le nombre de pilotes par embarcation de 3 à 2.
D’autres impacts seraient d’intéressants sujets d’étude pour les ergonomes. Par exemple le passage d’une écriture manuscrite à une saisie sur support numérique a t’il des conséquences sur le raisonnement médical ?
Les changements apportés par l’utilisation du logiciel commencent à être connus mais restent encore une découverte pour chacun des établissements qui s’y prêtent. Un référentiel des pratiques pourrait probablement consolider les effets de ces changements.
Identifier les limites pour prévenir les mirages
Le contact avec les système d’informations cliniques développe l’imagination des directions métiers et des fournisseurs de solutions au point que les limites ne soient pas toujours très faciles à identifier.
La technologie est universelle, puissante, multiforme. Elle stimule les tendances inventives des utilisateurs dont les besoins sont multiples, souvent fondés. La tentation est alors grande de développer des systèmes sur-mesure. En revanche il est délicat d’estimer correctement la difficulté et l’effort à consentir pour leur mise en oeuvre.
La puissance du logiciel se limite à la faiblesse des organisations qui les assemblent et les distribuent.
Veiller à l’évolution du champ des responsabilités
L’utilisation d’un logiciel s’accompagne d’un déplacement de responsabilité. Alors que le médecin détenait toute la responsabilité d’un diagnostic ou d’une prescription, le logiciel est maintenant là pour en assumer une part. Cette part est encore assez mal définie et les contrats proposés par les éditeurs dégagent leur responsabilité sur les conséquences d’une altération de données, panne ou autre dysfonctionnement du logiciel. Néanmoins, des initiatives comme la certification des logiciels apparaissent en passe d’inscrire ce transfert de responsabilité dans des textes.
Bénéfices des usages
Les publications françaises sur les bénéfices des systèmes d’information cliniques restent assez rares. Pourtant les bénéfices de l’utilisation de logiciels dans le cadre clinique, apparaissent souvent de façon «évidente» aux utilisateurs. Une analyse rapide montre que ces bénéfices sont bien réels au point de rendre l’utilisation des logiciels incontournable dans la réalisation des actes médicaux.
Le logiciel clinique devient incontournable
L’observation montre que dans un établissement de santé, le niveau de prise en charge actuel du patient ne pourrait plus être assuré sans logiciel. Dans toutes les spécialités, l’outil logiciel devient indispensable à la prise en charge du patient, il s’est déjà inscrit dans une organisation, elle même réadaptée à ses nouvelles fonctionnalités.
On se limitera à un exemple simple. Toute la chaine de traitement des résultats de laboratoire repose sur l’intégration de plusieurs logiciels. Lorsque le fonctionnement de cette chaîne est interrompue ou même altérée, les délais de mise à disposition des résultats s’allongent, l’organisation se dégrade, les décisions thérapeutiques prennent du retard et les traitements sont différés.
Prise en charge augmentée
La puissance de traitement de l’information permet de prendre en compte une somme d’informations liées au patient ou à une connaissance externe pour permettre une prise en charge «augmentée». L’un des équipements utilisé en anesthésie pour surveiller le sommeil du patient en donne un exemple. Cet équipement analyse l’électroencéphalogramme du patient et le confronte à une base de données de plusieurs centaines de cas, intégrée à l’équipement, pour donner un index de profondeur d’anesthésie. Cet exemple montre comment une connaissance externe recueillie auprès de plusieurs centaines de patients peut être intégrée pour donner un index donnant au praticien un outil de décision thérapeutique sur son patient.
Dans ces cas comme dans bien d’autres, l’utilisation des technologies intégrant des traitements logiciels donne aux équipes en charge des patients des possibilités inédites pour améliorer et fiabiliser le diagnostic et les traitements.
Harmonisation des pratiques
Il est assez immédiat de constater que l’utilisation de logiciel a pour effet d’harmoniser les pratiques au sein d’une organisation de santé. Le cas de la prescription médicale en est une illustration. Sans logiciel, la prescription médicamenteuse est faite à partir des connaissances du médecin sur un support papier par le geste de l’écriture. D’un service à l’autre, d’un médecin à un autre, la connaissance, son expression varie. Une anecdote rapportée par une confrère rapporte le cas d’un médecin ayant prescrit à un patient «qq goûtes». Le médecin signifiait «quelques goûtes» mais le patient a compris 99 goûtes et s’est retrouvé en réanimation. Le logiciel uniformise l’écriture, la connaissance et donc une partie de la pratique médicale. Plus largement, la mise en place de référentiels permet d’harmoniser les pratiques, de fiabiliser les échanges. C’est l’un des enjeux de la prescription connectée et l’un des sujets de la certification des LAP.
La standardisation gomme certaines difficultés liées aux échanges entre professionnels ou avec les patients. Le temps gagné et la fiabilisation des échanges bénéficie aux équipes, qui gagnent en confort d’utilisation, et aux patients par une meilleure connexion des équipes soignantes. La standardisation bénéficie également aux organisations par une rationalisation du travail.
Conclusion
La médecine à plusieurs milliers d’années d’histoire, l’informatique moins de cinquante ans. La rencontre de ces deux mondes est pourtant prometteuse tant l’adoption des logiciels médicaux est rapide et pertinente. Ces évolutions donnent l’occasion de repenser la place des différents acteurs et les objectifs d’un système de soin.